• 3 - Les Dénisovas

    Premières découvertes dans l'Altaï

    En 2008, l'os d'une phalange du petit doigt d'une jeune hominine a été découvert par le Pr Anatoli Derevianko dans la grotte  de Denisova, dans les montagnes de l'Altaï au sud de la Sibérie en Russie, dans une couche de terrain datée entre 30 et 50.000 ans. L'occupation humaine y est attestée depuis plus de 200.000 ans.


    Dans ce petit fragment d'os (denisova.3), il y a été possible de retrouver de l'ADN mitochondrial en assez bon état, puis de l'analyser en 2010 (1).

    Cet ADN mitochondrial transmis par la lignée maternelle s'est révélé à la fois différent de celui des Sapiens actuels et de celui des Néandertaliens contemporains; Ce nouveau groupe frère a été nommé "homme de Denisova".

    La séquence ADNmt partageait cependant  avec eux un ancêtre commun vieux d'environ 1 million d'années, bien antérieur à l'ancêtre génétique commun des Sapiens et des Néandertaliens qui est estimé dater d'au moins 200 à 500.000 ans.

    L'analyse de l'ADN nucléaire a été également possible en 2010 (5), mais cette fois il apparait que Denisova et Néandertal ont un ancêtre commun plus récent que celui commun avec Sapiens.

     

    Les Dénisovas

                           Données de l'ADN nucléaire (Reiche 2010) et de l'ADN mitochondrial (Krause 2010)

     

    Sur le même site, deux molaires trouvées en 2000 puis 2010 dans des couches de terrain vieilles de plus de 50.000 ans ont également livré en 2015 de l'ADN mitochondrial et même nucléaire (denisova 4 et 8).(2):

     

    Puis en 2017, une 4éme molaire (denisova2) du même site a également été identifiée comme provenant d'une denisovienne, par l'analyse de son ADN (3). Elle provenait d'une couche plus ancienne, datée d'au moins 128.000 ans, et la génétique semble montrer qu'elle a vécu au moins 50.000 ans avant la jeune enfant denisovienne dont on a retrouvé la phalange (denisova3).

    Récemment en 2019, un fragment de voûte crânienne de 5x8 cm (denisova13) a été retrouvé dans une couche plus ancienne et attribué également aux Dénisoviens par son ADN (Bence Viola).

     

    Les Dénisovas

     

    L'étude ultérieure des génomes nucléaires a confirmé que ces Denisoviens avait un ancêtre commun avec les Néandertaliens, qu'ils s'en étaient séparé il y a entre 190 et peut-être 470.000 ans (4) et qu'ils s'étaient hybridés avec certains des premiers hommes modernes (Australiens et Océaniens) (5)

    De plus en 2016 est venu la confirmation que Denisova et Néandertal s'étaient également hybridés: L'analyse génétique d'un fragment d'os de la grotte (denisova11) a révélé qu'il provenait de la fille (Denny) d'une mère Néandertalienne (plutôt proche des populations de l'ouest) et d'un père Denisovien local.(6)

     Les Dénisovas

                                                                                 Denisova 11

    En 2019 l'ensemble des  fragments de cette grotte ont fait l'objet de datations (7) qui s’échelonnent de 195.000 à 51.000 ans pour les Denisoviens, 90.000 ans environ pour la "métisse", et de 140.000 à 80.000 ans pour les Néandertaliens.

     

    Les DénisovasSelon JJ. Hublin (8), les Denisoviens auraient pu vivrent dans l'Altaï durant la période glaciaire de -190 à -130.000 ans correspondant au stade SIO6.

    A partir du réchauffement de l'interglaciaire SIO5, les Néandertaliens de l'Eurasie occidentale se répandent vers l'est jusqu'à l'Altaï, en plusieurs groupes et plusieurs épisodes, profitant de la diminution de l'étendue de la mer Caspienne. Ils y côtoient les Denisoviens jusqu'en -80.000, puis ils refluent et quittent l'Altaï au retour de la glaciation SIO4.

     

     

    A partir de l'étude du génome nucléaire de ces populations de l'Altaï, il a été également possible d'étudier l'évolution au cours du temps de la taille des populations effectives et de leur diversité génétique (4).

    Les Dénisovas

    A partir d'une population commune entre 1 million et 700.000 ans, la taille effective des populations de Neandertal de l'Altaï, et surtout de Denisova s'est effondrée après 500.000 ans, alors que celle des sapiens augmentait, sans doute pour des raisons environnementales.

    A partir de 450.000 ans, les populations de Denisova semblent avoir connu un effet de "goulot d'étranglement" qui les a réduit à 2300/2700 individus seulement (9).

     

    Deni au Tibet

    La mandibule de Xiahe (Tibet)

    En 2019, une demi-mandibule fossile découverte en 1980 dans la grotte de Baishiya près de Xiahe (Chine), situé sur le plateau tibétain à 3000 m d'altitude, a été identifiée comme ayant appartenu à un Dénisovien (10). L'ADN y étant trop dégradé, l'identification s'est faite par comparaison des protéomes, l'analyse des protéines conservées dans la mandibule, et par la morphologie comparable des molaires par rapport à celle de Denisova. Son âge est évalué à 160.000 ans par radio-isotopes.

                                                                    

    L'Homme de Dénisova

                                                                    La demi-mandibule de Xiahe

    La mandibule est de petite taille, sans menton, mais porte deux grosses molaires (pas de 3e molaire), dont la M2 présente une racine supplémentaire très caractéristique.

    Ce fossile denisovien peut être rapproché de la mandibule de Penghu découverte en mer de Chine au large de Taiwan. La morphologie et la taille sont très semblables, avec deux molaires dont la seconde avec trois racines.

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                                                                  La demi-mandibule de Penghu

     

    L'année suivante une équipe de généticiens a réussi à extraire de l'ADN humain mêlé aux sédiments de cette grotte de Xiahe au Tibet (11).

    L'ADN identifié a montré que les Denisova avaient occupé les lieux durant au moins deux périodes, il y a 100.000 ans et 65.000 ans et peut-être même 40.000 ans, donc une longue présence au Tibet où ils ont eu le temps de s'adapter à l'altitude, avant de se mélanger aux Sapiens et de transmettre aux populations du Tibet cette aptitude à la vie en altitude (12).

     

    D'autres Denisoviens en Chine?

    •  Des traces génétiques en Mongolie:

    En 2020 la paléogénétique a confirmé la présence de Denisova au nord-est de la Mongolie il y a 40.000 ans et plus: l'analyse de l'ADN d'un très ancien Sapiens, nommé Salkhit, daté de 34.000 ans en Mongolie, a révélé une empreinte génétique de Denisova découlant d'un mélange entre les deux espèces 6000 ans auparavant (13). Denisova était donc bien présent dans l'est de l'Asie il y a plus de 40.000 ans.

    • Des fossiles qui pourraient bien être des Denisoviens:

    En Chine, il existe un certain nombre de fossiles à gros cerveaux entre 400.000 et 50.000 ans qui ne sont pas des Homo erectus ni des sapiens, qui présentent des caractères qui les rapprochent des néandertaliens et qui sont probablement des Denisoviens (14): des analyses des protéomes pourraient le confirmer dans le futur.

    1) Le crâne de Dali découvert en 1978 dans la province de Shaanxi, daté d'environ 200.000 ans, présente une morphologie intermédiaire entre erectus et sapiens.

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    2) Le crâne de Maba découvert en 1958 au sud de la Chine dans le Guangdong, daté de 130.000 à peut-être 250.000 ans

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     3) Le crâne de Jinniushan découvert en 1984 au Nord-Est de la Chine, daté d'environ 260.000 ans.

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     4) les crânes de Xuchang découvert entre 2007 et 2014 en Chine centrale, datés de 125.000 à 105.000 ans (15).

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    Des Denisoviens au sud-est de l'Asie?

     

    Les DénisovasPlus récemment en mai 2022, une molaire trouvée dans la grotte du Cobra au nord-est du Laos semble être très probablement Denisovienne d'après l'analyse de sa morphologie (16). Il s'agissait d'une dent d'une enfant de moins de 8 ans ayant vécu il a 130 à 160.000 ans.

    Elle pourrait confirmer la présence de Dénisoviens en Asie du Sud-Est dès l'époque de 160-130.000 ans.

     

     

    Par ailleurs et très étonnamment, on retrouve du génome de Denisovien dans les populations actuelles de l'Asie du Sud-Est et en proportion encore plus grande dans celles d'Australie et d'Océanie (17)(5).

     

    Les Dénisovas

    proportions de gènes Denisova dans les populations actuelles (Sankararaman 2016)

     

    La proportion maximale de 6% s'observe dans le génome d'individus de Nouvelle-Guinée et d'aborigènes d'Australie (5'), bien loin de la Sibérie ou du Tibet !

    La comparaison des fragments de génomes dénisoviens identifiés dans certaines populations d'Asie-Pacifique avec celui du dénisovien de l'Altaï a montré qu'il s'agissait de populations très hétérogène (18):

    L'hypothèse actuelle suppose qu'au moins deux groupes de Denisoviens auraient coexisté.

    • Le premier (celui de l'Altaï) a contribué au génome des Hommes d'Asie continentale de l'Est et de Sibérie, mais a été largement supplanté ensuite par une seconde vague de Sapiens (d'où la faible proportion de gènes denisova finalement).
    • Un ou deux groupes au Sud de l'Asie auraient influencé les humains partis vers la Papouasie et l'Australie.
    • Un troisième métissage aurait sans doute également eu lieu avec les Négritos des Philippines.

     

     

    Le plus ancien des hominidés archaïques dont le séquençage de l'ADN mitochondrial a pu être réalisé est l'homme de Sima de los Huesos, un Homo heidelbergensis vieux de 400.000 ans, originaire d'Espagne (19).

    En 2013, la comparaison des ADNmt indique d'une part que Sima de los Huesos est plus proche de Denisova que de Néandertal dont il semblait pourtant être l'ancêtre d'après des critères anatomiques. Et d'autre part que cet homme partage un ancêtre commun avec l'homme de Denisova dont il se serait séparé il y a environ 700.000 ans.

    Cependant l'analyse ultérieure des génomes nucléaires des fossiles a montré au contraire que Denisova était un proche cousin de Neandertal.

    Une explication à cette contradiction serait un remplacement de l'ADNmt de Néandertal par celui d'une Sapiens ancienne lors d'une très ancienne hybridation, ce qui ferait apparaitre Néandertal éloigné de Denisova (comme un Sapiens) du point de vue des ADNmt. Denisova et Sima auraient conservés leur ADNmt originel.

     

     

     

     Sources & références:

    (1) Krause, J., Fu, Q., Good, J. et al. (2010), "The complete mitochondrial DNA genome of an unknown hominin from southern Siberia". Nature 464, 894–897 (2010)

    (2) Susanna Sawyer et al., (2015) "Nuclear and mitochondrial DNA sequences from two Denisovan individuals" PNAS, November 2015, vol 112 (51)

    (3) Viviane Slon, et al., (2017) "A fourth Denisovan individual" Science advance, vol 3, issue 7. 2017

    (4) K. Prüfer et al., (2014) " The complete genome sequence of a Neanderthal from the Altai Mountains". Nature 505, 43–49 (2014)

    (5) David Reich et al., (2010), « Genetic history of an archaic hominin group from Denisova cave in Siberia [archive] », Nature, vol. 468, pp. 710-722.

    (5') David Reich et al., (2011), "Denisovan admixture and the first modern human dispersals into southeast Asia and Oceania" Am.J.Hum.Genet. 89(4) 516-528

    (6) Slon, V. et al. (2018), "The genome of the offspring of a Neanderthal mother and a Denisovan father". Nature 561, 113–116 (2018).

    (7) Douka, K. et al., (2019) "Age estimates for hominin fossils and the onset of the Upper Palaeolithic at Denisova Cave" Nature volume 565, pages 640–644 (2019)

    (8) Hublin J.J. (2019) "A la recherche des Denisoviens" Cours du Collège de France, 29 oct 2019.

    (9) Kuhlwilm, M., Gronau, I., Hubisz, M. et al. (2016), "Ancient gene flow from early modern humans into Eastern Neanderthals". Nature 530, 429–433 (2016).

    (10) Fahu Chen & al. , 2019, "A late Middle Pleistocene Denisovan mandible from the Tibetan Plateau",  Nature, vol.569, 2019.

    (11) Zhang, D. & al., (2020) "Denisovan DNA in Late Pleistocene sediments from Baishiya Karst Cave on the Tibetan Plateau" Science, 2020.

    (12) E. Huerta-Sánchez, et al., (2014) " Altitude adaptation in Tibetans caused by introgression of Denisovan-like DNA". Nature 512, 194–197 (2014).

    (13) Massilani, D. et al., (2020) "Denissovan ancestry and population history of early East Asians" Science, 2020

    (14) Chris Stringer, (2012) "The status of Homo heidelbergensis (Schoetensack 1908)", Evolutionary Anthropology, Issues, News, and Reviews, volume 21, Nr. 3, 2012, p.101–107

    (15) Li, Z & al., (2017) "Late Pleistocene archaic human crania from Xuchang, China" March 2017, Science 355 (6328): 969-972

    (16) Demeter F & al. "A Middle Pleistocene Denisovan molar from the Annamite Chain of northern Laos". Nature Communications 18 mai 2022.

    (17) Sriram Sankararaman et al., (2016), " The combined landscape of Denisovan and Neanderthal ancestry in present-day humans" Curr Biol . 2016 May 9;26(9):1241-7

    (17) Vernot, B. & al., (2016) " Excavating Neandertal and Denisovan DNA from the genomes of Melanesian individuals" Science, 352, 6282 (2016) p235-239

    (18) Quintana-Murci, L., (2021) "Le peuple des humains" Odile Jacob, p121.

    (18) Matthias Meyer, et al.,(2013) « A mitochondrial genome sequence of a hominin from Sima de los Huesos », Nature, vol. 505,‎ 4 décembre 2013, p. 403–406

    (19) Martin Petr et al., (2020) "The evolutionary history of Neanderthal and Denisovan Y chromosomes", Science,
    25 Sep 2020 Vol 369, Issue 6511 pp. 1653-1656

     

     


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